L'Arunachal
Pradesh, la dernière frontière des Indes
Par
François Gautier
 La
route s’élève rapidement parmi des forêts
d’une beauté extraordinaire: arbres de teck,
de bois de rose, ou de santal, parmi
lesquels poussent des rhododendrons sauvages
et près de 500 variétés d’orchidées. Ici
règnent sans partage les tigres, les
léopards, les panthères, les rhinocéros à
une corne et des milliers d’oiseaux rares,
tels le grand calao des Indes. Mais
paradoxalement, on ne se croirait pas en
Inde, un pays de plus d’un milliard
d’habitants, qui éclate sous la
surpopulation et où on ne peut jamais être
seul. Car on ne rencontre pas une âme et on
ne croise de véhicule que très rarement : à
peine de temps en temps un camion qui monte
des provisions vers les villages du haut
Arunachal. C’est que l’Arunachal Pradesh
possède la plus faible densité humaine en
Inde : huit habitants par kilomètre carré,
soit 100 fois moins que l’état le plus
peuplé de l’Union indienne, le Bengale, avec
776 habitants par kilomètre carré. La raison
en est simple : L’Arunachal d’importance
stratégique, car il est entouré de quatre
pays : le Bhoutan, la région autonome du
Tibet, la Chine et la Birmanie. Les
Britanniques décidèrent donc dès le début du
XVIIIe siècle de l’interdire non
seulement aux étrangers, mais aussi au reste
de l’Inde. C’est ainsi qu’on laissa en paix
les gens de l’Arunachal, pour la plupart des
tribus ; même les missionnaires, qui
convertirent allègrement en Assam et dans le
reste du nord-est, ne furent pas autorisés à
y pénétrer. A l’indépendance indienne en
1947, le gouvernement choisit de maintenir
cette politique, tout particulièrement parce
que la Chine communiste commençait de
menacer le Tibet (*). C’est pour cette
raison que les forêts de l’Arunachal ont
– pour l’instant – échappé au triste sort du
reste de l’Himalaya, où les grands
propriétaires de scieries, de mèche avec les
hommes politiques, ont sauvagement déboisé
les magnifiques forêts, et où dans les
soi-disant réserves d’animaux sauvages, sur
lesquelles empiètent constamment les
villageois et leurs troupeaux, les
braconniers déciment les tigres, pour en
revendre les dents et les peaux aux Chinois
de Hongkong.
A Tenga, à
mi chemin entre Bhalukpong et Bombila, on
tombe nez à nez sur une énorme base
militaire. L’armée en Inde a gardé des
Britanniques le goût de l’apolitisme, de la
discipline, du golf et de la moustache
frisée. Sur des dizaines de kilomètres, le
long de la route, chaque bataillon possède
son enceinte bien délimitée, avec son
écusson, ses baraques en rang d’oignon, ses
maisonnées d’officiers avec leur petit
jardin à l’anglaise, ses terrain de
basket-ball, ses héliports... Brrrr, nous
franchissons le col de Sela, à 4500 mètres
d’altitude. Dans un paysage lunaire,
constamment balayé par un vent glacial, on
distingue à peine quelques misérables
hangars en tôle ondulée, où s’abritent des
soldats transis de froid. Ah ! nos premier
yaks, ces mythiques animaux du Tibet, qui
semblent sortir du brouillard tels des
fantômes, et qui sont gardés par un berger
qui arbore fièrement un chapeau de l’armée
australienne, des guêtres en peau de mouton
et un vieux fusil à piston. La route
redescend vers la vallée et bientôt nous
arrivons à Tawang, à plus de 3000 mètres
d’altitude, dernière agglomération
importante avant la frontière. Nous voilà
maintenant en territoire Mompa. Les Mompas
sont donc en fait des Tibétains : ils leur
ressemblent, ils parlent le même langage,
ils partagent la même religion et le même
leader spirituel: le quatorzième dalaï-lama.
D’ailleurs, on se croirait au Tibet :
partout, des moulins à prières en bois,
bariolés de couleur, qui tournent
inlassablement, comme propulsés par une main
invisible ; des drapeaux, où sont inscrites
des incantations religieuses, claquent au
vent ; des femmes en robe tibétaine vaquent
à leurs occupations ; et il va falloir nous
habituer à l’infâme thé au beurre de yak que
l’on sert dans les bouis-bouis.
Bâti en haut
d’une colline, le monastère de Tawang, qui
abrite 500 moines, possède la distinction
d’être le plus vieil édifice bouddhiste en
Inde. C’est autour de ce monastère, qui dans
le temps était défendu par des soldats
tibétains contre les incursions des Mongols,
que grandit la ville de Tawang. Et
aujourd’hui, même si Tawang s’est étendue
sur plusieurs kilomètres, le monastère reste
un merveilleux fouillis de rues escarpées où
s’enchevêtrent des petites maisons à
vieilles poutres à l’intérieur desquelles
s’affairent des moines en robe pourpre. Au
centre, le temple : de vieux artisans
peignent minutieusement les traditionnelles
scènes religieuses tibétaines : démons
grimaçants et boddisattvas en extase ;
d’autres sculptent des bas-reliefs dans de
vieilles poutres en teck ; et on brique
l’énorme statue en bronze du Bouddha, qui
fut amenée du Tibet au 16e
siècle, morceau par morceau, à dos de mule.
L’intérieur est creux et cache un véritable
trésor de bijoux, d’or et de pierres
précieuses, que l’on sort les jours de grand
festival. Des fidèles se prosternent
plusieurs fois tout de leur long devant la
divinité au sourire énigmatique, en
marmonnant le mantra éternel des Tibétains :
« om mani padme hum ». Dans le
temps, le monastère levait des impôts parmi
la population, « mais aujourd’hui nous
possédons encore des terres et les paysans
nous fournissent en dons de riz ou de
pain », explique le supérieur du monastère,
le Révérend Thupten Gompo. Il nous emmène à
l’intérieur de la bibliothèque et exhibe
fièrement de magnifiques parchemins
enluminés d’or dont la valeur est
inestimable. C’est l’heure des prières : le
souffle puissant des longues trompettes
tibétaines et le claquement des cymbales
résonnent longtemps dans l’air cristallin
des montagnes. Le temps s’est arrêté ici.
C’est un peu
plus bas, à Urgyilienge, qu’est né le 1er
Mars 1683, Tsanyang Gyatso, le sixième
dalaï-lama, alors que Tawang faisait partie
du Tibet. Merveilleuse histoire que la
sienne. Lorsque le cinquième dalaï-lama
mourut prématurément, au moment où il menait
une lutte acharnée contre les Mongols qui
voulaient s’emparer du trône tibétain, le
régent, Desi Sangay Gyatso, trouva un sosie
et cacha son décès pendant 15 ans. Mais
entre temps, comme il est de coutume pour
les dalaï-lamas, il fit rechercher sa
réincarnation qui, selon les canons
tibétains, fut retrouvée à Tawang trois ans
plus tard. Le sixième dalaï-lama eut donc
une vie laïque jusque l’âge de 18 ans : il
fréquenta les tavernes, aima les femmes et
écrivit de merveilleux poèmes. La légende
veut que lorsqu’il quitta Tawang pour
Lhassa, il planta un arbre de santal, en
prédisant : « je reviendrai lorsque trois de
ses branches auront atteint la même
taille ». Les moines de Tawang aiment à
rapporter que lorsque Tenzing Gyatso, le
quatorzième dalaï-lama, futur prix Nobel de
la Paix, arriva en Tawang en 1959 après
avoir fui l’occupation chinoise, trois des
branches de l’arbre possédaient exactement
le même gabarit. Le sixième dalai-lama régna
quelques années, puis fut emmené hors de
Lhassa par les Mongols qui l’assassinèrent
peu après. Le peuple tibétain ne l’a jamais
oublié, même s’il fut un dalaï-lama pas très
orthodoxe ; et on cite encore aujourd’hui
ses beaux poèmes :
« O Yama, dieu de la
mort,
toi qui est le miroir de mon karma,
rends moi justice, car de mon vivant,
je n’ai connu qu’iniquité ».
La
petite route qui se dirige en serpentant
vers Zimithang, le dernier village avant la
frontière tibétaine, est on ne peut plus
pittoresque. Partout des petits torrents
dont l’eau, canalisée par un gros tuyau de
bambou, chute sur des pales qui font tourner
d’énormes moulins à prières en bois. Pas une
voiture, mais quelquefois des mules qui
portent de lourds chargements ; plus loin,
un berger mompa, un traditionnel bonnet de
poils de yak sur la tête, fait paître ses
brebis au long poil. Juste avant l’entrée de
Zimintang, on découvre un énorme stûpa
(monument bouddhiste) au milieu de nulle
part, qui côtoie un dépôt d’essence de
l’armée, cohabitation pour le moins
incongrue. Zimintang, ce n’est en fait que
quelques misérables maisons au bord de la
rivière Nanjangchu : deux, trois enfants
jouent vaguement au cricket sur un bout de
terrain, une femme se cache le visage pour
ne pas être prise en photo, un coolie passe
comme une ombre. Il y a quelque chose de
surréaliste ici. D’ailleurs, plus on se
rapproche de la frontière, plus on a le
sentiment d’un no man’s land, d’une
sensation de vide intérieur. Personne sur la
petite route déserte qui mène à la Ligne de
Contrôle ; et puis, un moment, la route est
bloquée, on ne peut aller plus loin. A
gauche, c’est le Bhoutan, à droite le Tibet.
Au loin, on aperçoit quelques bunkers ; les
Chinois, s’ils sont là, sont invisibles.
C’est fini, nous avons vu la dernière
frontière des Indes.
* Beijing revendique
également l’Arunachal Pradesh. En 1962,
furieux de l’hospitalité que l’Inde accorda
en 1959 au dalaï-lama, les Chinois
attaquèrent, pénétrant tout l’Arunachal
Pradesh jusqu’à Tezpur, avant de se retirer
jusquà la Ligne de Contrôle.
Renseignements
pratiques
Les touristes étrangers
ont besoin d'un RAP (Restricted Area
Permit) pour pénétrer en Arunachal
Pradesh. Il est délivré par toutes les
Missions d'Inde à l'étranger, et par les
FRROS (Foreigners' Regional Registration
Offices) à Delhi, Bombay (Mumbai),
Calcutta (Kolkata). Il faut un minimum de 4
personnes et un maximum de 14 pour
l’obtenir, indique le site officiel du
gouvernement de l’Arunachal Pradesh :
www.arunachaltourism.com. Sur ce site web
également sont indiqués les "local tour
operators" agréés par le gouvernement
régional d'Itanagar (chef-lieu de l'Arunachal
Pradesh), parce qu'on ne peut entrer dans
cet Etat himalayen du nord-est que par
l'entremise de ces tour operators.
Adresses utiles :
En France
– Ambassade de
l'Inde : 15, rue Alfred-Dehodencq, 75016
Paris. Tél. : 01-40-50-70-70. Fax :
01-40-50-09-96. M. : La Muette. Ouvert du
lundi au vendredi de 9 h à 13 h et de 13 h
30 à 17 h 30. Attention, il faut téléphoner
avant pour prendre rendez-vous.
– Consulat
(service des visas) : 20-22, rue
Albéric-Magnard, 75016 Paris, de l'autre
côté de la rue Alfred-Dehodencq. Tél. :
01-40-50-71-71 (poste 272 pour les demandes
de visa par correspondance). Fax :
01-40-50-09-96. Ouvert du lundi au vendredi
de 9 h 15 à 10 h 30 (dépôt des demandes de
visas) et de 16 h à 17 h (retrait des
visas).
– Office de
tourisme : 13, bd Haussmann (5e étage),
75009 Paris. Tél. : 01-45-23-30-45. Fax :
01-45-23-33-45. Internet :
www.india-tourism.com. Email : indtourparis@aol.com.
M. : Chaussée-d'Antin. Ouvert du lundi au
vendredi de 9 h à 13 h et de 14 h à 17 h 30
sauf certains jours fériés indiens ou
français.
En Inde
– Government of Aunachal
Pradesh Bhavan, Chanakyapuri; Kautilya Marg.
New Delhi. Tel 91-11-23013915.
–
Arunachal Pradesh Tourism Department,
Government of Arunachal Pradesh.
www.arunachaltourism.com/
– Asia Tours, le
plus connu des tours operators sur l’Arunachal
Pradesh :
http://www.asietravelcontact.com/indenordest/parcours2.php?num=2
– Ministry of Home
Affairs - Govt. of India, North Block. New
Delhi-110001
Bon voyage !
©
François Gautier
2007-2010
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